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« Le compost, une arme de transition massive » (Julie Lenormant)
Dans son livre Tous alchimistes : réinventons la boucle aliments-terre, Julie Lenormant nous aide à comprendre comment l’on peut transformer le monde grâce aux poubelles. Cet extrait du Chapitre Quatre en donne un aperçu. La préface du livre est signée Marc-André Selosse, le pape des sols.
Chapitre Quatre
Le compost, une arme de transition massive
Maintenant que nous avons compris le rôle de la matière organique et la fabrication du compost à partir des restes alimentaires, nous pouvons nous demander qui sont ses utilisateurs et quels sont ses usages.
Les enjeux pour les particuliers et les villes
Terreau, engrais, compost … quelle différence ? Les ménages ont souvent pour habitude d’acheter du terreau en jardinerie comme support de cultures pour leurs balcons, jardinières ou carrés potagers. On sait peu que le terreau est souvent conçu à base de tourbe, ressource non renouvelable issue de la fossilisation de débris végétaux dans les zones humides fragiles. Sa formation s’effectue sur plusieurs milliers d’années et son exploitation est interdite en France. La tourbe peut être importée d’autres pays, d’Europe orientale ou d’Asie pour produire les terreaux vendus en magasin.
Le compost, lui, est un amendement organique naturel, qui a pour rôle d’améliorer la qualité des sols sur le long-terme. Il les structure et les enrichit. La qualité d’un amendement est déterminée par son potentiel structurant, fertilisant en azote, en phosphore ou en potassium, et son taux de matière organique. Le compost de déchets alimentaires est riche de ces différents éléments. Vous vous souvenez de l’importance de la structure, de laisser passer l’air et l’eau dans les sols ? Le compost de déchets alimentaires se différencie en cela des engrais minéraux. En plus d’apporter aux plantes les nutriments nécessaires à leur croissance, il soutient et enrichit la vie dans les sols. Lorsque les engrais minéraux nourrissent les plantes, avec un effet “coup de fouet”, le compost nourrit le sol et donc les plantes, sur le long terme.
Si les jardiniers ont souvent le réflexe “terreau” pour leurs plantations sans avoir la moindre idée des éventuels impacts environnementaux en amont, la terre de jardin mélangée à du compost est une alternative plus durable. Mais changer les habitudes prend du temps ! Les jardiniers aguerris tout comme les jardiniers en herbe ont besoin de découvrir ou redécouvrir ces pratiques bénéfiques pour leur jardin et le climat. Pour ceux qui veulent changer, il n’est pas toujours facile de trouver du compost près de chez soi. Les enseignes de jardineries, les pépinières et même la grande distribution commencent à faire évoluer leur offre en magasin, mais le marché est à construire. C’est notamment grâce à la confiance des premiers distributeurs qui ont accepté de tenter l’aventure, comme Biocoop ou Franprix, que les Alchimistes peuvent maintenant convaincre d’autres enseignes. Et quand en plus le magasin peut expliquer à ses clients que le compost proposé en rayon a été produit avec ses invendus du rayon fruits et légumes, la démarche est très appréciée.
« Les résultats sont prometteurs, explique Zoé, responsable de la vente chez Les Alchimistes. Si le compost est bien mis en avant en magasin dans un univers “jardinage” avec graines et petits plants, une épicerie bio, même en ville, peut vendre entre 20 et 60 sacs de compost par mois sur la saison. Cette année, Leroy Merlin a rejoint l’aventure. Le magasin à Beaubourg en plein Paris a vendu plus de 100 sachets de compost en un mois ! »
Au-delà des jardins des particuliers, la végétalisation des métropoles devient une priorité dans les politiques de la ville. Plus qu’une tendance, c’est une absolue nécessité. La lutte contre les îlots de chaleur, l’amélioration de la qualité de l’air et de la captation des eaux de pluie, la meilleure isolation des bâtiments, la reconnexion des urbains à la nature et au vivant, la beauté des espaces de vie : les bénéfices ne manquent pas.
Les citadins sont eux aussi en demande de plus de nature en ville ! Potagers partagés, végétalisation de murs et de pieds d’arbres, renaturation de friches urbaines délaissées, tiers lieux, débitumage de trottoirs, projets d’agriculture urbaine … les besoins de compost en ville sont nombreux. Car lorsqu’on enlève le bitume, il faut beaucoup de matière organique pour remettre de la vie dans les sols. Dans ce sens et afin de soutenir les collectivités territoriales dans la lutte contre le dérèglement climatique, la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé le 27 août 2022 un fond vert d’1,5 milliard d’euros. Un des objectifs principaux est la renaturation des aires urbaines.
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De l’importance de la qualité du compost de déchets alimentaires
La matière fertilisante issue des biodéchets représente une infime partie des besoins en amendements et en fertilisants pour le monde agricole aujourd’hui (environ 10%). Si la qualité ne convient pas aux agriculteurs, le risque est qu’ils ferment la porte à cette filière. Si la confiance se perd, elle sera difficile à retrouver. S’il n’y a pas de retour au sol, alors le cercle vertueux de la matière organique à grande échelle n’aura pas lieu.
Pour éviter cette situation, le réseau Compostplus en lien avec le monde agricole a créé le label ASQA (Amendement Sélectionné de Qualité Attestée) pour le compost. Il repose sur 36 critères qui permettent de définir les niveaux d’exigence concernant les intrants, les attentes des agriculteurs, le tout dans une démarche d’optimisation continue, en vue d’obtenir une qualité de compost beaucoup plus élevée que la norme NF 44051. Cette dernière définit et détermine ce qu’est un compost avec des critères qui sont relativement bas, car elle a été créée pour inclure le plus de monde possible à l’époque, dont le compost issu de traitement mécano biologique (TMB) de moins bonne qualité du fait de la présence de plastique et autres traces métalliques. Les plateformes de compostage labellisées sont soumises à des audits externes annuels pour garantir la qualité, la transparence et l’objectivité.
Un projet réglementaire appelé socle commun d’innocuité prévoit aussi de mieux catégoriser et encadrer les débouchés selon la qualité agronomique, sanitaire et environnementale des matières fertilisantes et supports de culture, quelle que soit leur origine. Il permettra de soutenir la réduction des impuretés, notamment les plastiques, de sécuriser la filière et de mieux valoriser le compost produit. Sa mise en application est prévue entre 2022 et 2027.
Un lien de confiance et de transparence est à cultiver avec le monde agricole, acteur incontournable du retour au sol de la matière organique. La qualité du compost produit dépend également de la qualité du tri à la source du citoyen.
Chacun dans ses rôles et ses responsabilités, nous pouvons boucler la boucle ensemble.
Vers une meilleure valorisation du compost ?
La complexité du prix des amendements : des réalités disparates
Si la valeur agronomique du compost est grande pour les sols, sa valeur marchande ne l’est pas encore. Les prix de marché en agriculture sont relativement bas et souvent déconnectés des coûts de production et de livraison. Souvent, la livraison de compost chez un agriculteur en camion coûte plus cher que la valeur facturée lors de la commande.
Pourquoi ce décalage ?
Depuis les années 1960, les agriculteurs sont formés à l’utilisation d’intrants chimiques pour répondre aux besoins nutritifs de leur exploitation. Basculer sur des apports en matière organique demande de la formation, de l’accompagnement et une caractérisation claire et graduée des composts. Or il n’y a pas du compost, mais des composts, et tous n’ont pas la même valeur. Avec l’accès parfois facile, à bas coût ou même gratuit aux effluents d’élevage comme le lisier ou le fumier, aux digestats de méthanisation, ou à des composts de déchets verts, certains usagers ont tendance à mettre tous les fertilisants organiques dans le même panier.
Par ailleurs, l’accès à de la matière organique est très disparate selon les zones géographiques. Historiquement les régions avec une forte tradition d’élevage ont plus de matière organique qu’il n’en faut. Par exemple, en Bretagne, où l’élevage intensif est présent, les agriculteurs sont moins en demande de matière fertilisante et de matière organique car ils ont un accès facilité au fumier et au lisier. Le compost de biodéchets peut alors être plus difficile à vendre aux agriculteurs. Les prix y sont bas. Dans des régions comme l’Est ou le Sud-Est de la France, la matière organique d’origine animale ou végétale est plus limitée et les prix sont plus élevés.
Les composts ne semblent donc pas estimés à leur juste valeur sur le marché. Leurs bénéfices sont peu connus mais il semble probable que les choses changent. La directive européenne sur les sols peut participer à accélérer le tempo.
Sur le plan économique, du fait de l’envolée du prix de gaz et des pénuries annoncées en engrais, l’intérêt pour les agriculteurs à basculer vers des alternatives naturelles, organiques et locales devient fort.
Sur le plan environnemental, l’agriculture bio poursuit son essor. Les exploitations qui se convertissent au bio doivent adopter des matières fertilisantes organiques. Elles doivent aussi identifier des alternatives pour se passer des matières fertilisantes issues d’élevage intensif, qui ne sont pas autorisées en agriculture bio.
Maraîchage sur sols vivants, permaculture, agriculture régénératrice : de nombreuses pratiques agroécologiques se développent dans le paysage de l’agriculture française et recommandent un usage important d’intrant organique et donc de compost. C’est le cas de la star canadienne de l’agriculture en bio intensif, Jean-Martin Fortier, spécialisé dans l’agriculture régénératrice. Sa méthode basée sur le développement de la vie dans les sols et sur une organisation millimétrée est une vraie inspiration pour des milliers de micro-fermes partout dans le monde. Le compost, utilisé en grande quantité, fait partie des bases de la méthode. En effet, il est un levier efficace pour produire de manière durable et très productive des légumes sur une petite surface.
Valeur agronomique versus valeur économique
En apportant davantage de vie dans les sols, le compost de déchets alimentaires a néanmoins un coût qui est aujourd’hui parfois plus élevé pour les agriculteurs comparé au budget qu’ils ont l’habitude de consacrer à leurs amendements.
“Bref, ils ont mangé des pâtes” : retour d’expérience et récit d’Arthur Cabaret, Directeur Développement des Alchimistes à Lyon.
« On a fait visiter notre plateforme de compostage à des agriculteurs. Ils ont dit “c’est cool, on veut de votre compost”.
Plutôt que de faire un devis en direct, cette fois on a voulu être créatif : on a fourni 200m3 de compost à Mickael, agriculteur de St Symphorien d’Ozon, à 10 kilomètres de notre plateforme, qui fait des céréales en bio et des pâtes avec sa farine et les œufs de son voisin. Il nous a donné des paquets de ses pâtes. On a ajouté un sticker “Blé nourrit au compost Alchimistes” et on a offert ses pâtes à nos clients. Ils étaient ravis de voir revenir dans leur cuisine le fruit de leur tri.
Puis j’ai rencontré le Président de la Métropole de Lyon.
Je lui ai raconté l’histoire. Il a dit “cool”. J’ai dit “on peut vous offrir des pâtes”. Il a dit “non, moi je voudrais les manger”.
Alors on l’a invité à manger des pâtes un midi avec toute l’équipe Alchimistes, la Vice-Présidente déchets, le Vice-Président agriculture et des agriculteurs partenaires.
Le repas a été préparé par un de nos clients qui est traiteur. Une boucle locale bouclée. »
Les collectivités devraient-elles racheter le compost de déchets alimentaires produit sur leur territoire et le subventionner, le temps de la transition, pour soutenir le développement de la filière des biodéchets ? Faudrait-il souhaiter la création d’une agence nationale de la matière organique qui serait en capacité de la collecter et de la redistribuer en fonction des besoins des sols ? Devrions-nous imaginer le développement d’académies de l’humus comme en Autriche, où les agriculteurs pourraient être accompagnés, se former à la régénération des sols et à l’importance de l’apport en matière organique ? Tout cela devrait-il être financé par des entreprises qui paieraient les services rendus par les agriculteurs pour le captage et le stockage de CO2 dans le sol et les services écosystémiques ?
Compostond, une coopérative et des prix au service de son territoire
Créée en 2015 dans un lycée agricole, Compostond est une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) implantée à Saint-Étienne et son bassin historique. La coopérative rassemble différentes collectivités, des agriculteurs, des citoyens et des salariés qui prennent part de manière active et collective au retour de la matière organique dans les sols.
Ici, on ne propose pas de contrat mais une convention ou une prise de participation dans la structure. On devient alors sociétaire ; on peut participer aux décisions et à la vie de la coopérative. L’histoire, l’attachement au bassin agricole, et la culture commune entre les sociétaires, font de son territoire la raison d’être de la coopérative.
Ici, le prix du compost est le reflet d’un juste équilibre trouvé entre le coût de la collecte et du traitement des biodéchets, la sécurisation des salaires des producteurs de compost et sa vente.
Les producteurs de biodéchets, citoyens, organisations, collectivités, vont racheter aux agriculteurs – utilisateurs du compost – les légumes et les fruits qu’ils produisent. Ainsi les producteurs de biodéchets n’ont pas intérêt à appuyer trop sur les coûts de collecte et de traitement car cela se répercuterait sur le prix du compost. Les agriculteurs n’auraient plus la capacité d’en acheter et ils ne seraient donc plus en mesure de produire la nourriture de qualité qui les nourrit ainsi que leurs enfants. Le prix est donc l’expression d’un contrat social pour l’intérêt collectif obligeant ainsi à une excellence opérationnelle.
Véritable catalyseur de coopération locale, plus le nombre de sociétaires est important, plus la démocratie peut s’exercer au service du territoire.
Une solution hybride s’est aussi présentée aux Alchimistes en décembre 2021 à Lyon : une grande entreprise de la restauration collective, Sodexo, a co-financé une partie du compost pour un de ses agriculteurs, membre du collectif Robin des Champs, qui pratique une agriculture de régénération des sols. Une piste à explorer en plus de la subvention ou du rachat du compost par les collectivités ? Quoiqu’il arrive, il nous faut trouver le moyen de préserver nos sols et le champ des possibles est grand.
À terme, la place du compost de déchets alimentaires est à la fois en ville pour aider à renaturer les espaces urbains et en ceinture péri-urbaine pour contribuer à l’amendement des sols et la fertilisation des cultures. Il s’agit d’une boucle vertueuse et prometteuse à faire grandir, d’une rencontre d’une offre et d’une demande à (re)créer. Les collectivités et les entreprises pourraient être considérées comme des producteurs et distributeurs de matière organique de qualité qui régénèrent les sols et non plus comme des collecteurs de déchets. Les citoyennes et les citoyens trieraient leurs déchets organiques non parce que leur collectivité leur demande mais parce qu’ils sont conscients de contribuer à la boucle aliments-terre nécessaire à la vie.